• Le Quesnoy

    Il y a des patients, des fois, on croit les connaître du premier coup d'oeil. Comme ici, ou .

      Ca me rappelle une histoire.

    J'étais de garde au SAMU, un soir d'il y a quelques temps. Sur le bout de papier mentionnant l'intervention en cours, il y avait écrit un truc du genre: "mamie, dyspnée, troubles de conscience". Et une adresse en périphérie de GrosseVille, en bord de fleuve. Nous étions en route.

    A l'adresse indiquée, un portail monumental s'ouvre seul à notre approche sur une allée gravillonée bordée de peupliers. Au bout, une demeure bourgeoise des années trente. Tout autour, un parc magnifique, des cèdres et des séquoias. J'ai même juré voir courir des écureuils. Devant la maison, alignées comme à la parade, Porsche, Mecedes et autres gracieusetés aux vitres teintées. Nous avançons doucement à l'ombre des grands arbres. Je pousse un long sifflement à l'adresse de l'infirmier qui m'accompagne:

    - Eh bien! On n'est pas chez les manouches!

    En guise de comité d'accueil trois blondes accortes de vingt ans, lookées M.S.T (entendez: Mocassins Serre-Tête) se présentent. Elles sont visiblement inquiètes, leur grand-mère n'est apparemment pas au mieux de sa forme. Nous franchissons plusieurs volées de double-portes en enfilade et croisons pas mal de monde. J'interroge mon escorte:

    -  C'est une réunion de famille?

    - Quoi?! Euh, non... c'est un jour comme un autre, nous vivons tous sous le même toit.

     - Nous formons une famille très soudée, ajoute la seconde.

    Je souffle discètement à l'infirmier qui sourit: "des manouches! Cassons nous!".

    Enfin nous arrivons dans ce qui semble être un grand salon. Des banquettes pistache, quelques meubles d'époque, une cheminée magistrale flanquée de portraits surannés. La totale. Au milieu, trône un fauteuil crapeau couleur crème dans lequel j'aperçois une petite forme animée de lents soubresauts. Penché sur elle, un type vaguement asiatique et au visage perlé de sueurs lui tâte le poignet en regardant sa montre. A ses efforts pour camper un air de circonstance, je devine qu'il s'agit d'un médecin. Une foule grouillante et chuchotante se rassemble et nous enserre. Je suis mal à l'aise.

    J'approche de la patiente et lance un bonjour au médecin. Pas de réponse. Rapidement, je me rend compte que les soubresauts sont des gasps. La grand-mère est inconsciente et ne réagit pas aux stimulations. Au sol, gisent des mouchoirs usagés imbibés de mousse rose. Ca sent fortement l'OAP et plus question de traîner. Je regarde le type:

    - C'est votre patiente?

    - Oui.

    -NON! Lance une des trois blondes.

    - Euh... c'est oui ou c'est non?!

    -OUI! NON! tout le monde parle, on ne s'entend plus.

    L'ambiance déjà tendue devient carrément électrique. La petite fille m'agrippe les mains et, malgré le brouhaha, je comprends que l'asiatique est son nouveau "médecin" traitant de l'avis d'une partie de la famille. Qu'il a décidé de rompre totalement la prise en charge initiale pour opter pour des médecines disons plus... Douces. Et interrompu depuis sept jours toute thérapeutique médicamenteuse, créant visiblement quelques tensions au sein de cette famille "soudée".

    Je profite de l'arrivée salvatrice des pompiers durant la cohue pour embarquer mémé dans le véhicule. Nous resterons quelques minutes au calme, histoire de débuter les premiers soins d'urgence. En remontant l'allée, quelques énergumènes, visiblement hostiles à notre intervention, tenteront de nous barrer la route. D'autres, tout aussi énervés, essaieront de les en empêcher.

    L'échauffourée se pousuivra jusque dans la rue, sous les yeux ahuris des automobilistes égarés. je me souviens encore, des années après, du tableau surréaliste aperçu ce jour là par la lunette arrière du véhicule. Colliers de perles qui volent, chemisiers déchirés, lunettes cassées, cols claudine à quattre pattes sur la voie publique... Et de la phrase de l'infirmier à ce moment:

    - Tu as raison, on n'est pas chez les manouches. Chez eux, ça ne se passe pas comme ça.

    Et c'est vrai. Jamais eu aucun problème avec les manouches.

    Comme quoi. 

     

     

     

     

    « U-TurnSans connerie »

  • Commentaires

    1
    Becky Wincky
    Samedi 22 Septembre 2012 à 17:59

    Et la mamie alors, elle s'en est tirée ou pas ?

    2
    John Snow Profil de John Snow
    Samedi 22 Septembre 2012 à 19:57

    L'histoire ne le dit pas, mais oui. ;-)

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