4 Mai 2012
Il n'a échappé à personne que l'imminence d'une échéance présidentielle entraine toujours les campagnes électorales, surtout si celles-ci brillent par l'absence de débat de fond, vers des plateaux abyssaux insoupçonnés jusqu'alors. Notre pain quotidien consistera donc, jusqu'au jour du jugement dernier, en un savant assaisonnement de basses alllusions sur les accointances supposées d'un vieux mamouth libidineux d'un côté, arrosées de vagues amitiés basannées de l'autre, le tout si vous le voulez bien saupoudrées de considérations vandettesques sur l'éventualité d'une guerre civile aux temps des cerises ou de la qualité des menus des cantines scolaires. Rien ou si peu sur les sujets essentiels, comme la politique de santé de notre beau pays par exemple. Toutes les âmes pures douées de parole, à défaut d'un cerveau, donneront donc chacune de leur petite diatribe inutile jusqu'au moment final où, si la météo le permet, chacun plantera dans l'urne sa graine d'espérance pour un monde meilleur.
Soit.
Mais, Ô hasards des calendes, il se trouve également qu' à quelques semaines près une nouvelle ère débute avec les premières épreuves de l'ECN de médecine 2012. Comme de toute façon l'envolée des débats à venir n'atteindra jamais celle des pissenlits, je profiterais bien de cette conjonction inespérée pour vous livrer, moi aussi, mon encyclique politique de pacotille à destination de nos confrères médecins. Vous ne voyez pas le rapport entre les deux évènements? Suivez bien mon raisonnement tortueux.
L'ECN de médecine reste, et je le dis à l'attention des non-médecins qui d'aventure fréquenteraient ces lignes, un moment unique dans la vie d'un carabin. En ce qui me concerne, je garde un souvenir ému de mon internat, ancienne dénomination pour cette épreuve qui garde pourtant sous bien des aspects son caractère de concours.
A l'époque ce rite, décentralisé en régions depuis, se déroulait en deux sessions indépendantes: l'une en province, l'autre en capitale. Bien que facultative, la grand-messe d'alors engendrait une transhumance forçée sans commune mesure dans le monde médical, saturant en deux heures d'échanges téléphoniques préalables, ET le réseau de télécommunication local, ET le parc hôtelier d'une région entière. En ce temps-là déjà le CNG, organisateur des agapes, faisaient preuve d'un talent certain pour l'à-peu-près qui confinera à la virtuosité si l'on considère les épreuves annulées de l'an passé.
Bref.
Cette gestion approximative qui provoqua l'ire récente de nombre d'étudiants n'est pas sans rapport avec l'émotion qui m'étreint quand je me remémore un fameux jour de fin de printemps. J'étais, petit externe parisien, tracté par la foule compacte de mes congénères transis de savoirs et de peurs vers le hangar monumental censé réceptionner le fruit de nos réflexions manuscrites. Obtenir un poste d'anesthésie quelque part en France et si possible pas trop loin de Paris était alors mon objectif -je vivais dans l'illusion entretenue (mais démentie depuis!) dans les universités parisiennes qu'en dehors de Paname, point de salut. Ce hangar disais-je, était situé du côté de Rungis, entre deux parcs à viande froide et trois casiers à légumes. J'ironisais alors sur le symbole de cette réunion forçée mais finalement consentie de notre troupe estudiantine, déjà aristocratique mais pourtant moutonnière et grégaire au sein même de ce champ de foire gigantesque destiné normalement à la vente de bestiaux abattus.
Je n'imaginais pas alors combien j'avais raison avant de débuter l'épreuve. Nous, l'élite, étions prêts à nous entre-dévorer sous la bienveillance de nos aînés, anciennes victimes et nouveaux complices. Sur le papier certes, mais également sur le pré. Car, et je suis certain que sur ce point rien n'a changé, la lutte ne se fait pas qu'à la pointe du stylo. L'autre volet du drame, plus sournois, plus pervers, se joue lors des pauses de cette session marathon.
Oui, il faut le savoir.
Il n'y a qu'une chiotte pour tous les participants, et le break est court. Tout le monde le sait mais rien n'est fait. Oh, je vous vois venir, vous allez me dire: mais diable, quel message politique peut bien découler de ce constat accablant? Patience, j'y viens.
Que faire donc, en cas d'envie pressante devant la masse compacte de ses semblables, furieux et déterminés quand on est un garçon bien élevé? On relève le défi? Non. On se dit que ça va bien mais merci, on va faire sa petite affaire dehors. Et on sort. Mais là, mazette! On constate qu'on n'est pas le seul à fuir le débat. Partout, partout, derrière chaque bagnole, chaque buisson, portière, arbre, borne incendie (si, si!), j' aperçois, discrète ou assumée, une petite nouille ou une petite fesse. D'où s'écoule un petit filet jaune qui vient grossir le torrent douteux du caniveau d'en face.
Comme il me reste un peu de dignité je décide de pousser plus loin l'exploration, vers cette butte à l'horizon. Grand bien m'en a pris, car c'est au sommet que s'est déroulée cette scène unique, gravée depuis à jamais dans ma mémoire et qui m'inspire le billet d'aujourd'hui.
Oui j'avoue, les bras m'en sont tombés. En haut, cachés derrière les épais fourrés dissumulant la rue j'ai vu le plus beau, le plus tragique spectacle du monde. Alignés comme à la parade sans distinction de sexe, race ou rang, mes futurs confrères s'asseyaient sur leur pudeur naturelle en s'adonnant à leurs besoins naturels. Visages fermés par l'enjeu mais chattes, bites, couilles bel et bien à l'air. J'ai pu en nommer certaines. D'autres non, car le rang s'étendait à perte de vue. Déjà drôle, me direz vous. Mais la scène tourna au pathétique quand arriva, tranquille, le petit train de banlieue alourdi d'indigènes fatigués rentrant du boulot. Je revois clairement le regard médusé des badaus hagards, serrés dans les wagons, défilant devant ce rang d'oignons magnifiques.
Mon message politique? Il est simple à cette heure, car seul un candidat s'est prononcé quant à la sauvegarde d'un semblant de service public en France:
Cher confrère, ami(e) médecin. Je sais. Je sais que tu as déjà cédé la fois précédente à la tentation du moi d'abord. Tu n'es plus guère sensible aux trémolos de la belle hélène, et ça m'attriste. Le service public, tu t'en cognes. Alors voilà. Sache que je moi qui ne suis personne, je n'ai rien oublié. Tes erreurs de jugement, je les pardonne. Mais s'il te reste un semblant de dignité fais gaffe.
J'ai, ils, nous, avons déjà vu ton cul. Nous en sommes restés cois.
Cette fois-ci, l'affaire pourrait ne pas en rester là.