Le blog de l'anesthésiste.
Je me la pose souvent, cette question. Et hier d'autant plus, ayant quitté ma maternité chérie pour filer un coup de main au bloc dans un secteur qui crie à l'aide.
Première réponse possible: à pousser des seringues. C'est la réponse de tous les connards qui croient connaître mon métier. Et hier justement, j'ai d'abord eu l'impression d'être cette putain de réponse. Mets-toi là, reste ici, fais ce qu'on te dit de faire et ferme ta gueule. Tout bon gazier bien élevé en CHU doit être capable de tenir le rôle. Polyvalent. Moi, ça m'énerve. Je craque forçément à un moment.
Hier, j'avais l'interne. Premier semestre, fin de stage. Qui compulsait activement les annales du petit examen de fin de première année à subir bientôt. Ca m'a détendu de voir ce gamin pester sur l'utilité de connaître la pharmacologie de la D-tubocurarine, molécule absconse en vogue à l'ère glaciaire de nos chers professeurs. En feuilletant son petit cahier concocté par ses prédécesseurs, je me suis rendu compte que la préparation de cette épreuve a considérablement évolué depuis mon époque pourtant pas si lointaine: cinq années de patience à gratter et peaufiner discrètement des QCM et dossiers avec leur grille hypothétique de correction, chapeau. La moyenne à l'examen a eu pour conséquence de sérieusement s'améliorer, preuve si l'en est que le bachotage sous-marin contente les indicateurs universitaires de qualité de l'enseignement.
Posons-là les antisèches, j'ai voulu y aller moi aussi de ma petite leçon. Pose de cathéter central, son premier tout seul. Sans écho bien sûr, on n'est pas des pédés.
Patiente arrive. De médecine. Avec comme tout dossier un vague bout de papier griffonné par l'externe/interne tellement honteux qu'il/elle ne signe pas. Intitulé de la demande: KtC. Motif: Antibiothérapie de longue durée. Antécédents: non rempli. Traitements: héparine dose efficace.
A quoi sert un anesthésiste? Voir plus haut.
Je reste calme, souriant à mon interne. Mandons le dossier, un oubli sûrement. J'épluche, je trouve. L'indication de pose est recevable, celle des anticoagulants fumeuse. Mais comme mamie à l'air facile et que je suis pas trop bégueule, le petit va lui poser le dispositif. Ci-fait, Chocolat en vue.
Décrochons ensuite le téléphone, le crime ne restera pas impuni. Nous délogerons successivement et tour à tour de leur sainte visite infirmière, externe, interne et médecin pour expliquer gentiment, poliment et SANS S'ENERVER ce que moi, petit escargot de bloc, attend de tout ce joili monde en pareille ciconstance.
Fini, me demande l'interne? Non point. Petit mot poli et confraternel dans le dossier médical pour expliquer pourquoi et comment l'on a dû faire les cons pour en satisfaire d'autres. Exercice imposé: nous nommer lui et moi, ainsi que tous les acteurs responsables contactés avec la teneur des conversations. Mon gnôme sourit, il se lâchera d'une prose agréable mais sobre, méritant les honneurs de mon épreuve de pacotille.
Fini? Toujours pas. Second cathéter.
Patient vient de service de chirurgie, hébergement de médecine. En isolement digestif (caca très caca, donc). Pas de demande. Ni écrite, ni orale. Juste une vague rumeur qu'un anesthésiste aurait demandé la pose. Pourquoi? On ne sait pas.
A quoi sert un anesthésiste?
Après quarante-cinq minutes d'appels divers, voici l'histoire reconstituée. Patient adressé par son médecin traitant à l'hôpital pour plaie louche sur truc potentiellement chirurgical. Monsieur sera vu aux urgences par l'interniste qui prescrira prélèvements bactériologiques et antibiotiques puis hospitalisera en chirurgie viscérale ce patient de chirurgie orthopédique faute de place dans ledit service. Vous suivez? Le chirurgien viscéral ne connait pas papy, l'orthopédiste ne veut pas opérer, l'interniste croit que l'orthopédiste gère de près le traitement antibiotique (mouarf!) mais ne comprend pas la nécessité de poursuivre les médicaments sur cette plaie désormais propre. Et l'anesthésiste? Ben, il pense sans voir le malade qu'on ne peut poursuivre le traitement de ce microbe désormais trouvé et gentil QU'AVEC un cathéter central. L'isolement? Alors là, mystère. Une vague selle molle notée en transmissions infirmières comme simple piste.
Je prendrai ma plus belle plume pour stopper le traitement ainsi que l'isolement et justifier des raisons qui me font penser à ne pas mettre ce foutu cathé. J'irai tout sourire faire un bisou à papy avant qu'il remonte. Et lui expliquer avec mon interne les raisons de ma démotivation.
Tout en causant à grand-père, je remarque une discrète cicatrice dans son décolleté hospitalier. Une balafre familière de tous les cancéreux équipés. Une chambre implantable? Un Pace-Maker? Qui sait? Je tripote en faisant signe à mon petit bleu qui n'en croit pas ses yeux.
A quoi sert un anesthésiste?
Les autres, je sais pas. Moi je sais que j'aime bien faire chier, ce sera ma leçon du jour qu'on n'apprend pas dans les facultés.
D'ailleurs avant de dire au revoir, il me reste quelque chose à écrire dans un dossier.