• Inception

    Je dors.


    Je dors et je suis bien. 


    Pelotonné sous ma couverture, seule ma tête dépasse de l’édredon. Dehors, j’ entends trisser les hirondelles qui s’engouffrent dans la cour en vagues successives. Le soleil béarnais pénètre dans la pièce par un rai de lumière qui frappe mon visage. Sa douce chaleur m’enveloppe sans m’étouffer. Il ne fait ni trop chaud, ni trop froid. Juste le parfait équilibre.


    Je suis bien. En toute quiétude.


    J’ai quinze ans, c’est l’été en montagne et je suis à la ferme, chez ma grand-mère.

    Un bruit familier vient de me réveiller mais je garde les yeux clos. C’est le pas discret de ma mère dans l’escalier qui fait chanter ces vieilles marches. Elle vient me chercher. Bientôt, elle sera sur le palier. Elle tournera le dos à la soulane et viendra se poster devant la porte de ma chambre. Je respire profondément et profite de chaque seconde qui me reste avant d’avoir à ouvrir les yeux.

    Sa main vient de se poser sur la poignée de la porte et dans une seconde ce sera fini de cet instant délicieux.

     

    Distorsion du temps, de l’espace. Impression fugace de saut dans le vide. Tout bascule.

     

    Je dors.


    Je dors et je suis bien.


    Recroquevillé dans ma couette, j’ai le nez dans l’oreiller. Dehors, j’entends le vent s’engouffrer sous le porche et claquer la porte du jardin à intervalles réguliers. La rue est calme, comme à son habitude. Un courant d’air frais parcourt ma nuque, la fenêtre est ouverte. Il fait bon. Juste le parfait équilibre.


    Je suis bien. En toute quiétude.


    J’ai trente ans, c’est le printemps dans ma maison chérie et je suis de repos de garde.

    Un bruit familier vient de me réveiller mais je garde les yeux clos. C’est le pas discret de ma fille dans l’escalier qui fait chanter ces vielles marches. Elle vient me secouer, j’ai suffisamment dormi à son goût. Bientôt, elle sera sur le palier. Elle se faufilera dans le couloir jusqu’à la porte de ma chambre. Je respire profondément et profite de chaque seconde qui me reste avant d’avoir à ouvrir les yeux.

    Sa petite main vient de se poser sur la poignée de la porte et dans un instant ce sera fini de ce moment délicieux.

     

    Distorsion du temps, de l’espace. Impression fugace de saut dans le vide. Tout bascule.

     

    Je dors.


    Je dors et je suis bien.

     

    Allongé sur un lit, je suis agrippé à une couverture. Le pyjama de bloc que je semble porter ne me gène pas, c’est curieux. Dehors, j’entends un chuintement entrecoupé de bruits sourds d’un objet venant heurter la porte. La cireuse. Des grillons grésillent dans ma main. Il fait bon. Juste le parfait équilibre.


    Je suis bien, en toute quiétude.


    J’ai trente-cinq ans, c’est le printemps et je ne sais pas où je suis, mais je sais que je suis bien.

    Un bruit familier vient de me réveiller mais je garde les yeux clos. C’est la sonnerie discrète de mon téléphone de garde que je tiens dans la main. Les grillons. A l’hôpital. Je suis au boulot. Les grillons cessent de chanter. Tout est calme. Bientôt une main viendra frapper à la porte et ce sera fini de cet instant délicieux. Je respire profondément et profite de chaque seconde qui me reste avant d’avoir à ouvrir les yeux.

     

    Attendre.

     

    Attendre la distorsion du temps, de l’espace. L’impression fugace de saut dans le vide. Tout va basculer.

     

    Les grillons, à nouveau. Et le tapotement délicat de l’infirmière à la porte de ma chambre.

     

    «- J’ai fait couler le café, Allez... Y’a trois péris, plus qu’une heure et c’est fini. Viens.»

     

    Et merde.

     

    Debout. De toute façon, je ne dors plus. Cette demi-heure de sommeil depuis vingt-cinq heures m’a fait du bien.


    Je suis bien.


    Je suis bien parce que dans une heure, j’ai une semaine de sommeil devant moi.

    On pourrait descendre chez ma mère, avec les petites.

    Elles adorent les hirondelles.

    « Sans connerieChaos »

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 26 Février 2012 à 11:32
    zigmund

     superbe ! une demi heure de sommeil pour 25 h  : le grand luxe !

    2
    GdA
    Dimanche 26 Février 2012 à 12:05

    Je découvre ton blog par ce billet.

    Très belle écriture. J'apprécie. Bonne chance pour la suite. Je met ton blog dans une bloglist. 

    3
    John Snow Profil de John Snow
    Dimanche 26 Février 2012 à 14:30

    @ Zigmund Voici mon échelle de confort en garde:

    Niveau flush: 4 heures de sommeil (la garde royale étant de les avoir d'affilée)

    Niveau satisfaisant: avoir la paix aux toilettes (bassement pragmatique)

    Niveau de base: réussir à prendre une douche sans mouiller le téléphone

    Niveau hard: partir s'en s'être brossé les dents.

    Il existe une autre échelle dans plus adaptée aux gardes difficiles. Plus tard, peut-être ;-)

     

    @GdA Un prêté pour un vomi. Ou un rendu, comme tu préfères.

    4
    Sweet_Faery
    Samedi 3 Mars 2012 à 00:06

    J'aime bien ce billet (le grincement.... on se demande vite comment il va se manifester au niveau suivant  :-)  ) En te lisant, je me dis que j'apprécie vraiment de ne plus avoir de gardes de nuit.... je mettais toujours du temps à me réorienter (distorsion spatio temporelle +++) quand le téléphone sonnait, faisant battre la chamade à mon coeur... trop perturbant.

    P.S. tu devais être balaise à la dictée de PIVOT.... que de vocabulaire : trisser?? soulane?? késako? (je vais jeter un oeil sur mon petit robert^^)

    bon blog à toi!

     

     

    5
    Vendredi 9 Mars 2012 à 00:02

    @ Sweet_Faery: pour la soulane, tu vas avoir du mal: c'est une traduction approximative de "soulano", terme issu du patois béarnais qu'affectionne ma grand-mère. Je n'ai pas trouvé l'équivalent français, mais peut-être existe-t-il?

    J'ai voulu évoquer une curiosité architecturale typique des maisons béarnaises et qu'on retrouve par ailleurs dans la plupart des habitations de moyenne montagne. Il s'agit d'une sorte de vaste balcon-loggia abritée par l'avancée de la toiture, elle même très pentue. Cette "soulano" fait souvent face à la soulane, la pente de la montagne abritée derrière la maison...

    Et pour les mêmes raisons que toi, autant j'adore les gardes à l'hôpital, autant je hais les astreintes à domicile. Parce que quand le téléphone sonne, du coup je sais rapidement où je suis (et si le téléphone ne sonne pas? Là, j'ai un truc: En garde, je dors chaussettes aux pieds. C'est juste diabolique).

    6
    Lundi 13 Mai 2013 à 15:58

    T'y connais suffisament pour écrire de vraiment jolies choses John Snow

    (ouais j'avoue, j'avais pas encore tout lu)

    Tu devrais continuer.

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